septembre 2010


INFORMATION


À L’OMBRE DES RETRAITES


Pour faire suite aux deux précédents billets de ce blog consacrés au travail pénal (Le travail pénal et La loi interdit le contrat de travail en prison), voici un article publié sur le site de l’OIP sur les droits à la retraite d’une personne qui a travaillé en prison.

À sa sortie de prison, T., 62 ans, s’enquiert de ses droits à la retraite, après avoir travaillé 21 ans au service général de plusieurs établissements pénitentiaires. En réponse à sa demande d’information, la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) lui indique par courrier le montant brut mensuel de sa retraite : 22,40 euros à compter du 1er avril 2009 ou 129, 47 euros à compter du 1er janvier 2013. T. a choisi d’attendre ses 65 ans pour percevoir une « meilleure » retraite… Il a acquis 35 trimestres. Bien loin des 158 trimestres qui assurent un régime complet de retraite aux personnes nées, comme lui, en 1947. Certes, T. a travaillé exclusivement durant ses deux longues périodes de détention (1977 à 1990 – 1998 à 2007). De fait, il ne peut prétendre à une pension pleine en raison de son déficit d’annuités [1].

Est-ce suffisant pour justifier que 21 années de travail en prison permettent de valider seulement 35 trimestres ? Sur la même période, un salarié extra-muros n’aurait-il pas acquis 84 trimestres [2] ? Comment expliquer ce différentiel de 49 trimestres entre un travailleur captif et un employé lambda ? La réponse se trouve dans les fiches de paie des détenus.

Exclus du bénéfice de la protection du droit du travail et partant de la garantie du revenu minimum, ils gagnent – en théorie – 44% du Smic horaire [3]. Or, l’obtention d’un trimestre suppose d’atteindre une somme au moins égale à 200 fois le Smic horaire, soit 1772 euros en 2010. Vu les rémunérations des détenus, valider un trimestre par an en prison est déjà un tour de force. Valider deux trimestres relève de l’exception. À preuve, sur dix années d’incarcération, B. a acquis seulement… 13 trimestres. Âgée de 62 ans, cette ex-détenue pourrait percevoir aujourd’hui 118 euros/mois, calculée sur la base de 29 trimestres, dont un tiers obtenus sous écrou. B. préfère se tourner vers des minima sociaux (RSA jusqu’à ses 65 ans ou Allocation de solidarité aux personnes âgées [4]) plus avantageux. « Que voulez-vous que je fasse avec ça, c’est moins qu’un loyer ?! J’ai travaillé quasiment sans interruption, sauf la première année où j’étais en observation. Je ne m’attendais pas à avoir aussi peu », a-t-elle confié à l’OIP.

Alors que la réforme des retraites sera adoptée dans les prochaines semaines, les détenus ont, comme souvent, été écartés des débats. Pas de régimes spéciaux ou d’aménagements spécifiques les concernant. Les occurrences « prison », « détenus », « sortants de prison » « travail carcéral » n’apparaissent jamais dans le projet de loi, voté le 15 septembre dernier par l’Assemblée Nationale. En tête de la contestation de l’allongement de la durée de cotisation, les syndicats sont à la peine lorsqu’on les sollicite sur les travailleurs-détenus: « Je connais mal le sujet, il faudrait faire un travail de conviction en interne et se saisir un jour de cette question », admet Gérard Rodriguez, conseiller confédéral CGT en charge des retraites. À la CFDT, on ne trouve « personne pour répondre à ce sujet ».

Débattu début octobre au Sénat, le texte risque d’être entériné sans que cette question n’ait soulevée la moindre interrogation. À l’exception à ce jour du député PS Armand Jung, qui a tenté en octobre 2009 d’alerter l’exécutif en rappelant que le salaire perçu en prison ne « permet pas d’atteindre les trimestres de travail pris en compte dans le calcul des droits à la retraite » [5], malgré un taux de cotisation identique [6]. Hélas, dans sa réponse émise en mars 2010, le ministère du Travail laisse penser que la retraite des détenus ne pose pas question car « depuis le 1er janvier 1977 », ils sont « obligatoirement affiliés à l’assurance vieillesse du régime général ». Interrogé par l’OIP, Jean-René Lecerf (UMP), qui fut rapporteur du projet de loi pénitentiaire au Sénat, reconnait que « la retraite n’existe pas » aujourd’hui pour les détenus ayant travaillé longtemps en prison. « Pour eux, cette retraite et rien, c’est pareil », commente-t-il.

Des retraites qui reflètent la situation du travail carcéral qui est « loin d’être le nirvana, c’est le moins que l’on puisse dire ! », estime le sénateur du Nord. Dans ce contexte, pourquoi ne pas avoir intégré une réévaluation substantielle des rémunérations, lors des discussions préalables au vote de la loi le 24 novembre 2009 ? « On ne peut pas tout faire en même temps. Dans un premier temps, il faut développer quantitativement et qualitativement le travail. Il sera temps ensuite d’envisager des modalités de paiement du travail carcéral pour qu’il soit davantage comparable à ce qui se passe à l’extérieur ». En attendant une hypothétique réévaluation des salaires et/ou l’instauration de contrats aidés [7], la main d’œuvre carcérale est bradée et on le fait savoir : « Budget serré : ne bloquez pas vos projets, passez par la prison », lit-on sur le plateau d’un étonnant jeu de société promotionnel distribué aux entrepreneurs Rhône-Alpins par l’administration pénitentiaire.

Des travailleurs (et futurs retraités) sans droit

Miroir amplificateur, les retraites reflètent le parcours professionnel d’un salarié. En l’occurrence, le travailleur-détenu évolue dans une zone de non droit dont la pierre angulaire se niche dans l’article 717-3 du Code de procédure pénale. Lequel souligne expressément que « les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l’objet d’un contrat de travail » dans l’enceinte d’une prison. De fait, tous les droits attachés au contrat de travail disparaissent : pas de SMIC, pas d’indemnités chômage, de maladie ou d’accident du travail, pas de congés payés, ni de droit syndical. Un système totalement dérogatoire au droit commun qui permet aux entreprises de s’implanter en prison à moindre frais. Et de bénéficier notamment de taux de cotisations considérablement minorés (assurance maladie, maternité, vieillesse, accidents du travail). Un eldorado économique qui fait dire à certains que la prison est une délocalisation… à domicile ciblant un public captif rémunéré trois à à quatre moins qu’à l’extérieur.

Notes :

[1] [Les personnes nées en 1947 doivent comptabiliser 39,5 années]

[2] [Nombre de trimestres acquis par un salarié employé à temps plein sur 21 années]

[3] [Les détenus employés aux ateliers (travaux usinage et façonnage essentiellement) pour le compte de sous-traitants sont rémunérés sur la base – théorique – d’un seuil minium de rémunération (SMR) évalué à 3,90 brut de l’heure, soit 44% du SMIC, en 2009. La rémunération mensuelle moyenne aux ateliers est de 370 euros en 2009. Au service général (restauration, blanchisserie, nettoyage, cantine, etc.), la moyenne des rémunérations est de 233 euros. Le troisième régime de travail (SEP-RIEP) est le plus rémunérateur : 525 euros en moyenne. Cela concerne une minorité : environ 1000 détenus employés par l’AP pour des postes plus qualifiés (confection, menuiserie, informatique, numérisation d’archives audiovisuelles, etc.) réalisés majoritairement en centre de détention]

[4] [460, 09 euros pour le RSA. 708, 85 euros brut pour l’ASPA (montants pour une personne seule)]

[5] [Lire la question et la réponse à cette adresse : http://www.nosdeputes.fr/question/QE/623606]

[6] [6,65% pour la part salariale en 2010. Les détenus « classés » aux ateliers et au SEP-RIEP payent cette cotisation ; ceux affectés au service général en sont exemptés, l’AP ayant à sa charge la part salariale et patronale]

[7] [Les employeurs signataires de contrats aidés dans le secteur non marchand et marchand reçoivent des aides de l’État (subventions, exonérations de certaines cotisations sociales, aides à la formation, etc.), en échange de l’embauche (CDD de 6 à 24 mois maximum) d’un salarié éloigné de l’emploi]

—> Précédents billets : Le travail pénal et La loi interdit le contrat de travail en prison.

—> Le jeu de société promotionnel distribué aux entrepreneurs Rhône-Alpins par l’administration pénitentiaire (source : annexe 6 du livre de Gonzague Rambaud écrit en collaboration avec Nathalie Rohmer Le travail en prison, Enquête sur le business carcéral, Éditions Autrement, Collection Mutations, 2010.

PUBLICATION


LE TRAITEMENT DE L’IMMIGRATION,

ENTRE LOGIQUE ADMINISTRATIVE ET LOGIQUE PÉNALE


Ce court billet pour vous signaler le nouveau dossier de l’excellente revue CHAMP PÉNAL consacrée au traitement de l’immigration, entre logique administrative et logique pénale.

  • Federica Infantino
    Politiques et pratiques des visas Schengen à l’Ambassade et au Consulat d’Italie au Maroc


EXPOSITION


LE CONTRÔLEUR GÉNÉRAL DES LIEUX DE PRIVATION DE LIBERTÉ

AUX RENCONTRES PHOTOGRAPHIQUES D’ARLES 2010


L’Outre-Murs

Les prisons sont, par nature, des lieux inconnus, sauf de ceux qui y vivent ou y travaillent. Les images de la prison qui circulent depuis longtemps reflètent ce qu’on veut bien voir ou montrer de ces lieux de privation de liberté, comme l’a illustré l’exposition récente du musée Carnavalet consacrée aux prisons parisiennes.

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, dont les photos qui sont ici exposées sont issues, n’a d’autre but que de rendre compte de la prison, telle qu’elle est, afin de veiller, comme la loi en donne mission, à la sauvegarde des droits fondamentaux des personnes captives.

Il a visité à ce jour une soixantaine d’établissements pénitentiaires, demeurant dans chacun d’entre eux plusieurs jours du matin au soir, pour en observer la vie, parler en toute confidence avec les détenus et les personnels, relever le fonctionnement.

À chaque fois, les contrôleurs ont pris, pour éclairer leur constat, des photographies.

Sans doute ces images ne disent-elles pas tout. Ni l’angoisse et la solitude, ni le silence (« Qui peut dire la prison… Qui peut dire le silence ?» demandait déjà Pierre Goldman) ou les cris, ni l’appréhension, ni l’incapacité de se définir ou de se dire…

Mais au moins donnent-elles à voir ce qui en constitue l’origine et la trame. Il a paru utile, toutefois, de les assortir de quelques commentaires pour mieux témoigner du contexte, c’est-à-dire de ce qui a été établi au cours des visites d’établissements par le contrôle général, qui est rapporté dans chacun de ses rapports comme dans son rapport annuel (consultable sur www.cglpl.fr).

Jean-Marie Delarue, contrôleur général de lieux de privation de liberté.

1ère partie de l’exposition – cliquez sur la photo

2ème partie de l’exposition – cliquez sur la photo

—> Vous pouvez également retrouver de nombreuses autres photos dans les annexes du rapport du Contrôleur Général (de la page 31 à la page 45).

© CGLPL

ÉVÉNEMENT


CONCERT « ROCK SANS PAPIERS »

SAMEDI 18 SEPTEMBRE 2010

PARIS / BERCY


Nous, auprès des artistes, musiciens, comédiens, réalisateurs, écrivains, plasticiens, professionnels de la musique, du spectacle, du cinéma, de l’information, de la culture, des scientifiques et universitaires, des personnalités associatives, syndicales et politiques, avec la majorité des citoyens français, nous déclarons solidaires des milliers de sans-papiers qui grandissent, étudient, et vivent à nos côtés dans notre pays.

  • Nous refusons que des enfants, souvent nés et scolarisés en France, soient expulsés avec leurs parents vers des pays qu’ils ne connaissent pas ou plus et dont certains ne parlent même pas la langue.
  • Nous refusons que des parents soient arrêtés, menottés, rudoyés, humiliés et enfermés dans des Centres de Rétention Administrative sous les yeux de leurs enfants.
  • Nous refusons que des familles parce qu’elles n’ont pas de papiers soient séparées, le père brutalement expulsé à des milliers de kilomètres tandis que la mère et les enfants restent ici, souvent dans la misère et traumatisés à vie.
  • Nous refusons que des travailleurs, qui bien souvent exercent leur métier dans des conditions pénibles, car sans droit, dont la plupart cotisent (retraites, maladie, chômage…) et paient des impôts en France vivent en permanence dans la peur et la clandestinité.
  • Nous refusons les lois Besson sur l’immigration qui bafouent le droit d’asile français et font honte au pays des Droits de l’Homme.

Comme certains l’ont fait en d’autres périodes de l’histoire, en accord avec les principes du droit international qui protègent les migrants, en accord avec les droits de l’homme et de l’enfant, comme avec les valeurs universelles de fraternité, d’égalité, de liberté et d’accueil de notre République, nous appelons à résister à ces pratiques indignes et inhumaines.

—> Liste des associations solidaires.

ÉVÉNEMENT

(si, si…)



DÉTENTIONS ET RÉTENTIONS CARCÉRALES A DEUX ANS !

Ce blog a depuis quelques jours deux ans d’existence.

En deux années, il y a eu 127 billets publiés : beaucoup de billets d’information et quelques billets présentant mes travaux de recherche autour de Michel Foucault et/ou de la prison.

L’article le plus visionné d’entre tous est de loin :

COMMENT LIRE SURVEILLER ET PUNIR AUJOURD’HUI ?

(plutôt agréable comme statistique, c’est une de mes publications !)

L’article au contraire le moins visionné est :

ANALYSE COLLECTIVE DU PROJET DE LOI « BESSON » RELATIF À L’IMMIGRATION, À L’INTÉGRATION ET À LA NATIONALITÉ

(la lecture de cette analyse nous aide pourtant à comprendre ce nouveau projet dont on n’a pas fini d’entendre parler)

Maintenant, oublions les statistiques et redonnons une seconde vie à certains des billets publiés sur ce site pendant ces deux années…

Voici donc en vrac quelques petites réflexions subjectives et les raisons, non moins subjectives, de vous présenter ces archives plutôt que d’autres…

Parce qu’il est important de ne pas oublier :

NAUFRAGE AU LARGE DE LA LYBIE :UNE TRAGÉDIE ANNONCÉE… JUSQU’À QUAND ?

Et parce qu’il existe de nombreux espaces maritimes où les migrants meurent… Dans le Golfe d’Aden aussi, les naufrages appartiennent au quotidien… Selon l’UNHCR par exemple, durant les 11 premiers mois de 2007, plus de 26000 personnes ont payé entre 50 et 150 dollars pour effectuer cette traversée du Golfe d’Aden. Au moins 1030 personnes sont mortes ou portées disparues.

Je vous renvoie aux cartes publiées dans le Monde diplomatique de juin 2010 : Mourir aux portes de l’Europe.

Parce que ce billet a directement été rédigé après avoir été vécu, si je puis dire…

POUR LA MISE EN OEUVRE DES MESURES D’ÉLOIGNEMENT DES ÉTRANGERS DU TERRITOIRE FRANÇAIS : CIRCULAIRE DU 21 JANVIER 2004

(Monsieur B. est, depuis, revenu)

Parce qu’il est essentiel de réfléchir sur les Règles Pénitentiaires Européennes, ici celles sur le travail :

LE TRAVAIL PÉNAL

Cette année, le thème des Journées Nationales Prison (qui se dérouleront en novembre prochain) est « l’expression collective », autre recommandation européenne. Un billet sur cette règle européenne non appliquée en France serait bienvenu. J’y pense…

En attendant, vous pouvez lire cet article de Norman Bishop : « La participation des personnes détenues à l’organisation de la vie en détention » publié dans l’excellente revue électronique Champ pénal.

Parce que j’ai eu beaucoup de retours sur ce billet :

CANTINER EN PRISON

(beaucoup de retour ne signifiant pas beaucoup de commentaires ;)

Alors que les détenus gagnent entre 2 et 8 fois moins qu’une personne au smic, les aliments cantinés en prison, eux, coûtent en moyenne 27% plus cher que dans un supermarché. Par exemple, le pain augmente de 11 % ; le beurre de 29 % ; le sel de 50 % ; le sucre de 18 % ; le riz de 42 % et les pâtes de 39 %.

Parce que j’ai aimé m’interroger à l’inverse de d’habitude… avec des infos qui bousculent pas mal de présupposés me semble-t-il…

LES FRANÇAIS À L’ÉTRANGER : ÉMIGRÉS ou IMMIGRÉS

(Mais alors, où vont-ils tous ces français ?)

Parce que trop souvent les questions sont orientées, biaisées ou mal posées :

QU’EST-CE QU’ÊTRE FRANÇAIS ? ET QUI SONT LES FRANÇAIS ? – par Hervé LE BRAS

La vraie question, nous dit Hervé Le Bras, « n’est pas de raffiner les modes de contrôle d’une migration considérée comme un phénomène anormal, mais d’encadrer un phénomène normal, la libre circulation des humains et leur libre établissement, sans altérer profondément le rôle protecteur des États ».

Parce que ce travail a été pour moi une occasion de réfléchir sur les deux problématiques de ce blog et parce que cette journée d’étude reste pour moi un riche souvenir :

DE LA PRISON AU CAMP : LA SAISIE DE L’ESPACE-CORPS

Parce que je publie beaucoup moins sur le thème de la « sécurité » et que j’ai appris plein de choses en écrivant ce billet :

LA POLICE DANS LES « QUARTIERS SENSIBLES » : UN PROFOND MALAISE par LAURENT MUCCHIELLI

(je ne soupçonnais effectivement pas l’existence du Centre d’entraînement aux actions en zone urbaine (CENZUB) qui s’est ouvert en 2006…)

Voilà,

Merci à tous ceux qui me suivent,

Pour les autres, vous pouvez le faire via le fil rss, sur twitter ou par l’intermédiaire de Facebook. Vous serez alerté des nouveaux contenus publiés : veille (revue de presse) ou nouveaux billets.

En espérant que les informations publiées sur ce blog sont utiles, relayées et discutées.