GIP


PUBLICATION

LE GROUPE D’INFORMATION SUR LES PRISONS, UN NOUVEL AGIR POLITIQUE (4)

Après un troisième volet sur les objectifs du GIP, voici le quatrième et dernier billet concernant la présentation de ce groupe d’INFORMATION :

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QUELLES SONT LES MODALITÉS D’ACTION DU GROUPE D’INFORMATION SUR LES PRISONS ?

Pour atteindre son objectif, le GIP doit transmettre au plus grand nombre le travail critique qu’il entreprend pour dire l’intolérable. Le GIP double donc son principe premier d’information d’un principe de diffusion.

Le GIP utilise de nombreux moyens traditionnels : les tracts, les réunions, les meetings, les communications internes mais aussi et surtout, les « enquêtes intolérance ».

La modalité de l’enquête n’est pas en soi une investigation novatrice.

À partir de 1819, avec la création de la Société Royale pour l’amélioration des Prisons, les enquêtes se généralisent. Grâce à elles, paraissent les premières statistiques. Les enquêtes-intolérances menées par le GIP sont d’un tout autre ordre. Elles s’inscrivent dans un projet d’investigation et d’information qui ne visent pas à établir des statistiques, des courbes ou des tableaux. Elles ne sont pas non plus, précise Foucault, des enquêtes de sociologues : elles ne proviennent pas de spécialistes extérieurs. Elles sont réalisées par les personnes concernées par le sujet même de l’enquête.

En réalité, elles sont inspirées de celles faites sur la condition ouvrière par les ouvriers eux-mêmes au début du XIXème siècle (un des fondements de la pratique politique et syndicale du prolétariat au XIXème / une grande part de la documentation de Marx). Les enquêtes du GIP vont également suivre de près celles produites par les maoïstes de l’après 68 en France au sein des usines. Les maos s’inspirant eux-mêmes du travail accompli par les ouvriers au XIXème. Le premier questionnaire du GIP est d’ailleurs rédigé, avec l’aide d’anciens détenus, par des militants maoïstes qui pratiquaient déjà l’enquête à l’entrée des usines.

Si la modalité de l’enquête par les concernés n’est donc pas nouvelle, de telles investigations n’ont pas encore été entreprises au sein des prisons.

Et ce qui fait l’originalité du travail du GIP est la mobilisation des familles de détenus, extérieures à la prison et directement concernées par elle. Les questionnaires sont en effet diffusés clandestinement par les familles lors des visites afin que les détenus les remplissent ou leur transmettent par oral l’information. Les familles de détenus constituent en ce sens une force considérable.

L’introduction de la première publication du GIP précise les caractéristiques de l’enquête-intolérance, elles sont au nombre de 4 :

  • chacune doit être un acte politique
  • chacune doit être le premier épisode d’une lutte
  • chacune doit, en un point stratégiquement important, constituer un front, et un front d’attaque
  • chacune doit être, pour les prisonniers, le support pour « prendre en charge la lutte qui empêchera l’oppression de s’exercer »

Introduction à la première brochure, Intolérable 1 : enquête dans 20 prisons.
(texte attribué à Foucault, Dits et écrits, texte n°91)

Nous pouvons voir dans ces quatre caractéristiques deux orientations fondamentales du travail du GIP : d’une part, la volonté de constituer un savoir collectif et, d’autre part, celle de faire émerger un nouveau discours sur la prison.

Premièrement donc : Si le GIP est un groupe qui cherche et diffuse des informations, il est avant tout un groupe qui les relaie. Qui connait mieux la prison que les prisonniers eux-mêmes ? Le GIP montre qu’une théorie de la prison élaborée par les prisonniers eux-mêmes est possible. Il faut simplement le support pour l’exprimer et c’est le rôle que le GIP souhaite remplir. Le groupe ne veut être qu’un instrument de diffusion et en aucun cas, un porte parole au nom des prisonniers. Les enquêteurs ici sont les enquêtés eux-mêmes. Les publications du GIP, comme support, doivent permettre de rassembler et d’organiser des indignations et des revendications individuelles jusqu’ici informulées. Elles doivent permettre de donner aux détenus des différentes prisons le moyen de prendre la parole au même moment. Il s’agit donc de rassembler des expériences individuelles pour les transformer en une force politique, en un savoir collectif, un savoir politique.

Deuxièmement : Le GIP va ainsi permettre un nouveau discours sur la prison. En effet, la manière dont le GIP transmet l’information, en donnant la parole aux détenus, dérange la distribution bien réglée dans l’ordre des discours : c’est une lutte incontestable contre le pouvoir. Le discours du GIP n’est pas celui de la criminologie, ni celui de la science pénitentiaire. C’est la parole des intéressés, non un discours normalisé par les instances du pouvoir. C’est le discours du quotidien, sans interprétation et sans trop de commentaires. Le GIP combat ainsi l’idée selon laquelle le discours sur la prison doit nécessairement être produit par des « spécialistes ». Le GIP veut donc supprimer l’intermédiaire imposé par la hiérarchie du langage institutionnalisé. Il s’engage alors dans un travail de rupture : rupture dans l’ordre du pouvoir et rupture dans l’ordre du savoir (au principe de diffusion s’ajoute donc un travail de rupture).
Pour exemple, il est volontiers admis qu’un prisonniers se raconte, décrive son expérience de la détention. En revanche, il est difficilement accepté qu’un détenu puisse penser la loi, le droit et le pouvoir.
Cette procédure de l’écriture réglée par les mécanismes du pouvoir permet de spécifier chaque discours, de plonger l’opinion dans l’ignorance de la réalité carcérale et d’imposer ainsi un schéma de pensée. Le GIP refuse de servir ainsi le pouvoir. Au delà du simple témoignage, les prisonniers donnent leur « théorie » de la prison et non pas, comme les autorités le font, une théorie sur la délinquance.

L’enquête intolérance est donc d’une importance considérable. Elle est un acte de résistance et, avec elle, la prison apparaît comme un enjeu politique car surgit dans le champ discursif une parole jusqu’ici rejetée.

—> La pratique du GIP s’établit donc sur deux fondements : un principe d’information nourri d’un travail critique et un principe de diffusion qui met en lumière un travail de rupture.

Le GIP est un groupe où les témoignages et les réflexions s’instruisent mutuellement pour constituer un savoir nouveau : celui des intéressés. La parole des prisonniers est exigence et condition même d’existence du GIP.

Malgré les actions du GIP, les prisonniers ne semblent pas écoutés et d’importantes mutineries vont avoir lieu dans les prisons françaises. Nous en parlerons dans un prochain billet…

Supplément à La Cause du peuple-J’accuse du 19 janvier 1972.

—> Les archives du GIP se trouvent à l’Abbaye des Ardennes et une grande partie dans le formidable livre de Philippe Artières, Laurent Quéro et Michelle Zancarini-Fournel :

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LE GROUPE D’INFORMATION SUR LES PRISONS, UN NOUVEL AGIR POLITIQUE (3)

Après un deuxième billet sur « Qu’est-ce que le Groupe d’Information sur les Prisons ? », voici le troisième temps de cette réflexion :

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QUELS SONT LES OBJECTIFS

DU GROUPE D’INFORMATION SUR LES PRISONS ?

Nous l’avons dit : le GIP est un collectif qui transmet l’information en donnant la parole aux intéressés. Or, informer pour le GIP, c’est dire l’intolérable.

Intolérable est un terme récurrent dans la lutte engagée par le GIP.

Intolérable est le titre choisi pour les quatre publications du GIP :

Le terme INTOLÉRABLE désigne à la fois les conditions objectives de détention : la promiscuité, l’insalubrité, le manque de soins médicaux, l’absence de vie privée, les sévices, la censure, etc.

Mais plus encore, INTOLÉRABLE définit la réaction subjective que provoque l’expérience de ces conditions déplorables de détention ; que l’on soit directement confrontés à elle, étant prisonnier, ou que l’on en soit le simple témoin observateur.

INTOLÉRABLE indique donc à la fois le constat de la situation (ce sont des conditions intolérables) et la dynamique de l’action (je ne peux les tolérer). Et c’est le ressenti de cet intolérable qui provoque l’action.

Sont intolérables : les tribunaux, les flics, les hôpitaux, les asiles, les écoles, le service militaire, la presse, la télé, l’Etat et d’abord les prisons.

Intolérable 1, Enquête dans 2O prisons

Brochure publiée en mai 1971 aux éditions Champ Libre.


Un questionnaire est distribué aux prisonniers de février à avril 1971 grâce aux familles des détenus lors des visites aux parloirs. Les réponses apportées par les prisonniers sont alarmantes. Promiscuité, insalubrité et arbitraire des surveillants sont les principaux « inacceptables » relatés dans ces témoignages. Deux questionnaires sont retranscrits intégralement : un provenant d’un prisonnier de la Santé à Paris et un autre d’une prison de province dont la ville n’est pas spécifiée. Ensuite sont énoncées les réponses les plus caractéristiques. Elles proviennent de divers établissements : Fresnes, Douai, Saint Malo, Toul, Caen, Gradignan, La Santé, Toulouse, La Roquette, Épinal, Metz, Fleury-Mérogis, Nîmes, Saint-Nazaire, Rennes, Avignon, Loos, Poissy, Dijon, Montbéliard, Besançon. Vingt et une prisons sont investies.

Intolérable 2, enquête dans une prison modèle : Fleury-Merogis

Brochure publiée en juin 1971 aux éditions Champ Libre.

Fleury-Mérogis, la prison la plus moderne de France.
Fleury-Mérogis, la plus vaste prison de France.
Assez vaste pour que toute la jeunesse de Paris et de la banlieue, depuis 68, y défile. Assez vaste pour que les juges y dirigent des fournées de jeunes de plus en plus nombreuses. Elle a ouvert leur appétit, elle ne suffit pas à leur frénésie de justice. En été, le nombre décroît, la police est partie en vacances.
Si tu as de 18 à 21 ans, si tu es de la banlieue ou de Paris, c’est à Fleury que tu iras, au bâtiment D2, au bâtiment D4.

Intolérable 3, L’assassinat de George Jackson

Brochure publiée en novembre 1971 aux éditions Gallimard.

La mort de George Jackson n’est pas un accident de prison. C’est un assassinat politique.
En Amérique, l’assassinat a été et demeure aujourd’hui un mode d’action politique.
Cette brochure ne prétend pas faire la lumière sur les événements du 21 août 1971 à la prison de San Quentin : pour l’instant du moins, ils sont hors de notre portée. Nous avons voulu répondre seulement à deux questions :

1° Quel était donc ce vivant qu’on a voulu tuer ? Quelle menace portait-il, lui qui ne portait que des chaînes ?

2° Et pourquoi a-t-on voulu tuer cette mort, l’étouffer sous les mensonges ? Que pouvait-on encore redouter d’elle ?

Intolérable 4, suicides DE prison

Brochure rédigée en avril 1972 et publiée en février 1973 aux éditions Gallimard.

Cette brochure est attribuée à Daniel Defert et Gilles Deleuze. Co-signée avec le Comité d’Action des Prisonniers (C.A.P.) et l’Association de Défense des Droits des Détenus (A.D.D.D.), elle annonce la fin du GIP et la mise en place d’un relais assuré en partie par les prisonniers eux-mêmes.
Suicides de prison regroupe la liste des 37 suicides connus du GIP dans les prisons françaises en 1972 ; des lettres de H.M. (Gérard Grandmontagne suicidé le 25 septembre 1972) ; un commentaire sur ces lettres ; cinq documents relatifs à des suicides ; un entretien avec le Docteur Fully, inspecteur de la médecine pénitentiaire et un exemple de plainte déposée par l’ADDD.

—> Le combat du GIP consiste donc à DIRE L’INTOLÉRABLE : son principe premier est un principe d’information.

L’objectif de la première brochure est de dire l’intolérable du quotidien.

Un questionnaire est distribué grâce aux familles et amis des détenus lors des visites aux parloirs. Au regard des différentes réponses, le constat est celui d’une hétérogénéité des conditions de détention. Mais dans chaque établissement, quelque chose persiste : les réponses des prisonniers sont alarmantes, les conditions de détention sont dénoncées par les détenus comme étant inacceptables, parce qu’INTOLÉRABLES.

Si le Groupe cherche à faire savoir ce qu’est la prison, il souhaite également désigner qui y va, comment et pourquoi on y va. Le GIP veut donc informer sur le quotidien des détenus mais également sur les processus qui conduisent en prison. L’information doit donc aller au delà des simples conditions pénitentiaires pour dire les mécanismes qu’exerce la justice.

Le GIP souhaite donc aussi dire l’intolérable au delà du pénitentiaire.

Le GIP critique non seulement le champ technique du pouvoir judiciaire mais aussi le champ symbolique du pénal qui investit le système : à savoir le partage binaire entre innocents et coupables. L’image du délinquant créé a contrario celle de l’honnête homme.

De plus, la justice, par les délits qu’elle sanctionne, touche une certaine partie de la population. Le GIP rappelle également que l’avocat est rémunéré, en d’autres termes, que le droit de recevoir une justice se paye. Le GIP s’attaque aussi au quadrillage policier qui se resserre de plus en plus sur une partie de la population volontairement exclue. Le GIP mène également une grande campagne pour l’abolition du casier judiciaire qui contredit la fonction affichée de réinsertion, réduit au chômage et conduit à la récidive. Etc.

—> Le principe d’information caractéristique de l’action du GIP passe aussi par un travail critique.

En résumé, pour le GIP, l’information est une lutte…


Texte du GIP rédigé par Daniel Defert, publié dans La Cause du peuple-J’accuse le 25 mai 1971.
(double page, page 1)


Texte du GIP rédigé par Daniel Defert, publié dans La Cause du peuple-J’accuse le 25 mai 1971.
(double page, page 2)

—> Les archives du GIP se trouvent à l’Abbaye des Ardennes et une grande partie dans le formidable livre de Philippe Artières, Laurent Quéro et Michelle Zancarini-Fournel :

—> Les archives du Comité d’Action des Prisonniers se trouvent à la Bdic de Nanterre.

—> Les archives de l’Association de Défense des Droits des Détenus se trouvent à l’Abbaye des Ardennes.

—> À venir : LE GROUPE D’INFORMATION SUR LES PRISONS (4) : Quelles sont les modalités d’action du GIP ?

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LE GROUPE D’INFORMATION SUR LES PRISONS, UN NOUVEL AGIR POLITIQUE (2)

Après un premier billet sur « L’émergence du Groupe d’Information sur les Prisons », voici un deuxième moment sur :

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QU’EST-CE QUE LE GROUPE D’INFORMATION SUR LES PRISONS ?

Si le Manifeste est signé par trois intellectuels (Michel Foucault, Jean-Marie Domenach et Pierre Vidal-Naquet), ce Groupe d’information est avant tout un collectif anonyme. S’il s’est d’abord constitué autour de quelques figures (les signataires ou encore Gilles Deleuze, Danielle Rancière, Daniel Defert, Jacques Donzelot…), il n’est en aucun cas une association d’intellectuels.

Le GIP est un groupe pluriel, polymorphe et hétéroclite. Il se compose aussi bien d’intellectuels, de magistrats, de journalistes, d’aumôniers, de médecins et, condition même d’existence du GIP, de détenus, ex-détenus et familles de détenus.


Le GIP existe aussi bien à Paris qu’en province. Et les comités régionaux ne sont pas sous le contrôle du GIP parisien. Chaque groupe local agit selon les moyens qu’il se donne. Le GIP est donc une mobilisation horizontale et, en aucun cas, une organisation hiérarchisée fonctionnant de manière verticale. Il n’existe pas au GIP d’organe central ni de figure symbolique. Le GIP n’est pas une association : il n’a pas d’adhérents mais des militants. Le GIP n’a pas de charte, pas de statuts.


Le GIP est avant tout un lieu de réunion.

Après une manifestation le 17 janvier 1972 dans les locaux de l’Agence Presse Libération. Le but de l’APL, fondée par Maurice Clavel, est de transmettre des informations que l’on ne trouve pas dans les autres journaux et de préserver son indépendance.

Photographie d’Élie Kagan.


Mais les premières réunions ont lieu devant les prisons, avec les familles et amis de détenus, dans les files d’attente pour les visites… Ensuite, pour mobiliser l’opinion, les militants du GIP se déplacent également dans les cités dites populaires, dans les supermarchés, sur les marchés, dans tous les lieux publics susceptibles de permettre de transmettre l’information : informer sur l’existence du GIP et la lutte des prisonniers et discuter des actions à venir ou des actions possibles.

Le GIP organise aussi de grandes réunions publiques, des manifestations…

Manifestation du 17 janvier 1972 devant la Chancellerie. Photographie d’Élie Kagan.

« Le but de cette manifestation est de pénétrer dans le ministère de la Justice et d’aller faire une sorte de conférence de presse dans la cour, sous les fenêtres mêmes du ministre pour lui apporter une partie des remous que suscite la répression brutale dans ses prisons »,

raconte Alain Jaubert, journaliste présent.

Entre autres, Michel Foucault lira la Déclaration des prisonniers de la Centrale de Melun qui affirme que « la réinsertion sociale des prisonniers ne saurait être que l’oeuvre des prisonniers eux-mêmes ».

Voir à propos de cette journée, l’ouvrage Michel Foucault, une journée particulière, photographies d’Élie Kagan et textes d’Alain Jaubert et de Philippe Artières, Editions Ædelsa, 2004.

Le GIP organise aussi des meetings…

Tract appelant à un meeting à Toulouse en décembre 1971.

Le GIP a entrepris d’informer sur les mouvements de prisonniers qui se déroulent à l’étranger, notamment aux États-Unis et en Italie. Par exemple, la troisième brochure publiée par le GIP, Intolérable 3, est une enquête sur la mort suspecte de George Jackson à la prison de San Quentin le 21 août 1971. Le GIP aimerait internationnaliser la lutte.

L’important pour le GIP est de transmettre l’information sur ce qu’il se passe en prison mais l’essentiel également est que l’information soit transmise par les intéressés (à savoir les détenus, les ex-détenus, les familles et amis de détenus, les travailleurs en prison ou encore les magistrats).

Qu’est- ce que le GIP donc ?

Le GIP désigne avant tout un nouveau type de mobilisation qui, par son type de recrutement et ses pratiques spécifiques, bouscule les normes de l’engagement politique traditionnel : pas d’unité idéologique, pas de directives politiques. Le GIP veut « faire tomber les barrières indispensables au pouvoir » en mélangeant les acteurs sociaux, en rassemblant détenus, avocats et magistrats. Le GIP veut faire fonctionner la transversalité des savoirs en brisant le « jeu des hiérarchies sociales ».

—> Les archives du GIP se trouvent à l’Abbaye des Ardennes et une grande partie dans le formidable livre de Philippe Artières, Laurent Quéro et Michelle Zancarini-Fournel :

—> À venir : LE GROUPE D’INFORMATION SUR LES PRISONS (3) : Quels sont les objectifs du GIP ?

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LE GROUPE D’INFORMATION SUR LES PRISONS, UN NOUVEL AGIR POLITIQUE (1)

J’ai construit ma thèse autour de Michel Foucault et de son investigation sur les prisons. Aujourd’hui, j’ai envie de vous faire partager un peu de mes recherches…

Nous allons donc nous plonger dans une microhistoire, celle du Groupe d’Information sur les Prisons et rencontrer un Foucault militant, un Foucault révolté et indigné, qui agit pour donner la parole aux prisonniers.

Dans un premier billet, évoquons le contexte dans lequel le Groupe d’Information sur les Prisons a pu naître.

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DANS UN CONTEXTE SPÉCIFIQUE, L’ÉMERGENCE DU GROUPE D’INFORMATION SUR LES PRISONS

Comment Michel Foucault en est-il venu à s’intéresser aux prisons ?

Il est vrai que, déjà, en 1961, certains passages de l’Histoire de la folie ouvrent sur une possible analyse du système carcéral. Si l’asile et la prison ont leur fonctionnement propre, l’aliéné mental comme le délinquant sont des « exclus », « inclus » dans une institution fermée. La continuité entre l’hôpital psychiatrique et la prison peut se comprendre à travers l’histoire même. Pourtant, l’engagement de Foucault pour les prisons se fera plutôt en raison de l’actualité des années 70 et de la répression qui touche les gauchistes de l’après mai 68, en particulier les maoïstes de la Gauche Prolétarienne.

Rappelons donc le contexte historique : les maos de GP

La Gauche Prolétarienne se constitue en septembre 1968. Au départ, il s’agit essentiellement comme son nom l’indique d’un mouvement prolétarien, ouvrier. Mais rapidement la Gauche Prolétarienne va s’ouvrir au mouvement étudiant et au début de l’année 1969, elle devient une véritable force politique indépendante et autonome. Les militants de la Gauche Prolétarienne se mobilisent donc de plus en plus dans l’espace social et en particulier dans les usines. Ils commencent à gêner sérieusement le gouvernement. Le ministre de l’intérieur du gouvernement Pompidou, Raymond Marcellin, guette un faux-pas de leur part pour pouvoir réprimer, pénaliser.

Et ce « faux-pas » arrive :

Après un accident sur un chantier de Dunkerque où la chute d’une poutre en acier provoque la mort d’un jeune ouvrier, des militants de la Gauche Prolétarienne mettent hors d’usage des grues et se mettent donc dans l’illégalité (26 janvier 1970). Le gouvernement réagit en interdisant leur journal La Cause du peuple (mars 1970). Les directeurs de la publication (Jean-Pierre Le Dantec puis Michel Le Bris) vont être de fait arrêtés, jugés et condamnés pour « délits de provocation aux crimes contre la sûreté de l’État (abrogée en 1981) et apologie du meurtre, du vol, du pillage et de l’incendie » (respectivement à 1 an et 8 mois de prison). Une loi anti-casseurs (abrogée en 1981 aussi) est également votée par le parlement en juin pour réprimer « certains formes nouvelles de délinquance » et, en réalité, le militantisme des gauchistes. La Gauche Prolétarienne va donc continuer la lutte dans la clandestinité et demander à Jean-Paul Sartre d’être le directeur de leur journal. Ainsi, pendant que Sartre et Beauvoir distribuent impunément La Cause du peuple, les militants maoïstes se font arrêtés et emprisonnés.

Pendant l’été, la Gauche Prolétarienne dissoute met en place l’Organisation des Prisonniers Politiques (l’OPP), une cellule spéciale qui doit permettre d’organiser le procès de militants maoïstes emprisonnés et les aider à obtenir le statut de « prisonnier politique ».

Le 1er septembre 1970, l’Organisation des Prisonniers Politiques rédige un texte pour réclamer ce statut politique et annoncer une grève de la faim.

Photographie d’Élie Kagan prise début février à la Chapelle Saint Bernard près de la Gare Montparnasse à Paris. Des militants entreprennent une grève de la faim en soutien aux prisonniers politiques.

Déclaration des prisonniers politiques :

Nous réclamons la reconnaissance effective de nos qualités de détenus politiques. Nous ne revendiquons pas pour autant des privilèges par rapport aux autres détenus de droit commun : à nos yeux, ils sont victimes d’un système social qui, après les avoir produits, se refuse à les rééduquer et se contente de les rejeter. Bien plus, nous voulons que notre combat, dénonçant le scandaleux régime actuel des prisons, serve à tous les prisonniers. [ETC.]

Il y aura en réalité deux grèves de la faim, une première, peu suivie, du 1er au 25 septembre 1970 et une seconde, reconduite en janvier. Cette fois-ci, la lutte de ces militants incarcérés suscite de nombreux soutiens, de la part des intellectuels d’abord, à commencer par Sartre. Mais la lutte est également ressentie dans les lycées et dans la « rue » où de nombreux commissariats sont attaqués et de multiples manifestations entreprises. Le soutien provient également de quelques uns de la classe politique comme Robert Badinter ou François Mitterrand qui se déclarent ouvertement choqués par les mesures policières du gouvernement.

Affiche du Secours Rouge en soutien aux militants emprisonnés

(insérée dans le journal J’accuse du 15 janvier 1971)

Le Secours Rouge se constitue le 11 juin 1970 suite à l’appel lancé par Jean-Paul Sartre. Le S.R. veut être le « lien de la solidarité populaire contre l’alliance du patronat, de l’État, de sa police et contre tous leurs complices ». « Son objectif essentiel sera d’assurer la défense politique et juridique des victimes de la répression et de leur apporter un soutien matériel et moral, ainsi qu’à leurs familles, sans aucune exclusive ». Les victimes du moment sont bien les maoïstes emprisonnés.

La stratégie des maos incarcérés est donc intéressante en ce sens qu’elle vise à interpeller l’opinion sur les conditions générales de détention, celles aussi par conséquent des droits communs.

Lettre rédigée au cours du mois de janvier 1971

C’est donc dans ce contexte bien précis que Michel Foucault va s’intéresser au problème des prisons. C’est l’actualité qui exige la lutte. Et effectivement pour les prisonniers du quotidien, les droits communs, tout reste à faire.

Nous sommes fin 1970-début 1971, Michel Foucault vient d’être nommé professeur au Collège de France. Il écrira bientôt une histoire de la prison mais pour l’heure, l’actualité réclame une action politique concrète. Un Groupe d’Information sur les Prisons est créé et se lance dans un combat difficile : donner la parole aux prisonniers de droit commun.

Manifeste du GIP annonçant sa création. Ce texte sera publié dans la revue Esprit de mars 1971.

(Dits et écrits, texte n°401)

À la Chapelle Saint Bernard, le 8 février 1971, les avocats des prisonniers politiques annoncent, lors d’une conférence de presse, l’arrêt de la grève de la faim des militants emprisonnés. Michel Foucault, juste après, annonce le début d’un nouveau combat en lisant ce texte. En d’autres termes, la lutte continue. Le Manifeste est signé par Jean-Marie Domenach, ancien résistant et à cette époque directeur de la revue Esprit, par Pierre Vidal-Naquet, historien, engagé dans la dénonciation de la torture par l’armée française durant la guerre d’Algérie et Michel Foucault dont on connaît l’intérêt pour les lieux d’enfermement et plus largement pour les marges et les périphéries.

—> Les archives du GIP se trouvent à l’Abbaye des Ardennes et une grande partie dans le formidable livre de Philippe Artières, Laurent Quéro et Michelle Zancarini-Fournel :

—> Et les archives de la GP se trouvent à la Bdic de Nanterre.

—> À venir : LE GROUPE D’INFORMATION SUR LES PRISONS (2) : Qu’est-ce que le GIP ?