PUBLICATION

 

COMBAT CONTRE L’INTOLÉRABLE

RENÉ SCHÉRER

Préface

couv - thèse

Je viens de relire la préface que René Schérer a écrit pour présenter mes travaux de recherche sur Michel Foucault : Le GIP, l’histoire et l’action. L’émotion était si vive que j’ai voulu de nouveau vous faire partager ce texte et peut-être vous donner ainsi l’envie de lire mon travail.

Je voudrais donc, une fois encore, remercier René Schérer, ce chercheur et militant sans compromis, pour sa magnifique et généreuse préface. Avec toute mon admiration et toute ma  reconnaissance.

Je profite de ce billet pour vous conseiller la lecture de ses ouvrages et particulièrement ceux, bien sûr, dont la réflexion porte sur l’hospitalité ; l’hospitalité, oubliée des pratiques discursives, et dont l’éloge est aujourd’hui nécessaire me semble-t-il.

Je vous invite donc en premier lieu à lire Hospitalités aux éditions Anthropos, publié en 2004. Ce livre rassemble plusieurs textes consacrés à ce thème par René Schérer depuis 1993, depuis la parution de Zeus hospitalier.

9782717847932fs

L’hospitalité consiste essentiellement dans le rapport à l’autre qu’elle introduit. Recevoir, accueillir, reconnaître en l’autre son semblable et, de plus, apprécier sa présence, son contact, comme un apport et un enrichissement, non  comme une gêne fait passer du plan d’une conception qui valorise « le même », l’identité au détriment de tout ce qui est étranger, au plan d’une philosophie qui attache une plus grande valeur à l’autre, au respect des différences. Il y a, aujourd’hui, très souvent combat entre ces deux attitudes d’esprit, et il est clair qu’un problème social, un « cas » ne sera pas abordé de même manière si l’on adopte pour traiter l’une ou l’autre attitude : celle qui tend à limiter l’accès à l’étranger, y voyant un intrus, un parasite, et celle qui voit en sa présence une source d’enrichissement collectif.

Voici donc sa préface,

« Combat contre l’intolérable », René Schérer. 

En prenant connaissance de cette heureuse publication d’Audrey Kiéfer, comme en parcourant sa thèse – car ce fut d’abord un travail conçu pour une thèse de doctorat d’Etat ; sous la séduction d’une lecture aisée, il en a la rigueur – j’avais présent à l’esprit ce mot de Gilles Deleuze sur Foucault : « penser, pour lui, c’était réagir à de l’intolérable ».

Et l’intolérable, à l’époque de la création du GIP dont l’historique fait l’objet de la première partie de cette étude, c’étaient les conditions réelles, matérielles, quotidiennes de la prison qui, depuis la décision si impavide du juge en son siège, à partir de la sentence toute formelle et abstraite du tribunal en sa quiétude, se traduit, dans la pratique, par l’horrible accumulation, en chaîne, des violences et des humiliations quotidiennes. Par une machine à déshumaniser débouchant sur la folie ou le suicide.

Mais y prête-t-on encore attention aujourd’hui, hors quelques enquêtes journalistiques sans lendemain, en marge de quelques interpellations vite oubliées ? Aujourd’hui où un populisme éhonté ne s’applique qu’à flatter une opinion qu’on apeure. Alors qu’il n’est fait appel, dans ce qu’il a de plus bas, qu’à l’esprit de vengeance et de ressentiment ?

Nous assistons, on le sait, à une récession sinistre, à une démission des consciences. Un grand trou de mémoire a banalisé la prison jusqu’à en rendre l’idée naturelle. Un trou où s’engouffre l’emballement judiciaire, l’accroissement de peines toujours plus dures, toujours plus irréversibles. L’optique inversée de nos dirigeants, et malheureusement, il est à craindre, de la majorité de nos contemporains, semble avoir jeté un trait sur ce qui ce qui s’identifiait, il n’y a pas si longtemps – trois décennies à peine – à la lutte pour le progrès, pour la raison. Sur ce qui rejoignait la grande tradition des Lumières. Qui, par delà même, se reliait à un immémorial : le sort des prisonniers, la légitimité de leur révolte, l’horreur déjà, en elle-même, de la privation de liberté.

Non, cela, ce côté de la lutte semble ne plus importer, intéresser à peine. Pis encore, il paraîtra, à beaucoup, déplacé ou scandaleux. Tant la prison est ressentie comme naturelle.

En dépit d’une surpopulation carcérale avérée, se multiplient et se renforcent les mesures d’enfermement ; et tout le discours politique officiel semble se résumer en une protection des « honnêtes gens » contre délinquants et criminels. Eux aussi, pourquoi pas, « de nature ».

Devant une telle déroute des valeurs et des esprits, le présent livre illumine et rafraîchit. Il est un comme une porte ouverte sur un zéphyr. La secousse salutaire qui rappelle à la raison, à la mémoire.

À la mémoire, parce que là comme partout et plus encore que partout ailleurs, ce sera l’histoire qui, en premier lieu, fait raison et donne sens. Telle celle de ce fameux groupe d’information sur les prisons (GIP) fondé, au début des années 70 à l’initiative de Gilles Deleuze et de Michel Foucault, comme la lutte la plus urgente, le combat le plus nouveau qui s’imposait dans le flux des « libérations de paroles » dont mai 68 semblait avoir ouvert les vannes. Combat d’une originalité certaine et encore inouïe, puisqu’il allait permettre aux prisonniers eux-mêmes d’exprimer leurs souffrances et leur détermination.

Mais aussi – et c’est sur quoi ici je veux seulement insister – l’intérêt de ce livre, une œuvre sobre et rigoureuse, un livre nécessaire – est peut-être, avant tout, d’avoir su situer l’historique du GIP, et quelle qu’eût été son originalité, dans un ensemble, de l’avoir relié à tout un contexte. Il émerge, en effet, d’une tendance communément partagée qui faisait suite à la libération de 1945 – à une période où la condition carcérale avait été presque le lot commun, en tout cas le risque, à tous, le plus évident – et qui semblait avoir imprimé à la période contemporaine un mouvement irréversible. Une horreur de l’enfermement qui semblait constituer, comme on a coutume de dire, « un acquis ». Réformer la condition carcérale, mettre en question l’emprisonnement lui-même fut à l’ordre du jour de tous les gouvernements successifs.

Or, c’est cet acquis dont, écrivant aujourd’hui, nous avons l’effroi de constater l’effondrement, la rageuse et imbécile dénégation. Et qu’il est d’autant plus indispensable de rappeler, de ranimer avant une disparition définitive.

Vives, percutantes, les incursions documentées et clairement exposées d’Audrey Kiéfer dans un passé récent en continuité avec lequel nous n’avons jamais cessé d’être, mais que l’amnésie contemporaine risquait de recouvrir ou même d’effacer, formulent les vrais problèmes, décapent les vraies urgences. Elles substituent au cercle vicieux de la délinquance, de l’enfermement et de la récidive auquel se sont laissé prendre les politiques actuelles, un autre regard.

Mais ce n’est pas le seul mérite de l’ouvrage. Rendant justice à l’histoire, il place également l’œuvre de Michel Foucault dans une perspective peu souvent dégagée ou étudiée. Il montre, en effet, comment, chez lui, l’œuvre théorique s’est intimement mêlée à une pratique, à une lutte qui lui a fourni un véritable terrain d’expérimentation pour une conceptualisation qui allait venir bouleverser les cadres de la pensée et révolutionner l’histoire. Et comment le bond spéculatif pourra, à son tour, ouvrir à l’action des horizons jusqu’alors inaperçus.

Surveiller et punir, ce grand moment de l’esprit, prolonge le GIP qui l’a préparé et dont il émerge ; il élargit la signification d’une lutte, porte la question de la prison au niveau d’une problématique des sociétés modernes, de l’orientation de leurs visées disciplinaires qui, en même temps qu’elles la répriment, sont les agents de la trop fameuse « délinquance » qu’elles allèguent et de son cercle fatal. Une percée décisive, un regard d’aigle, replace alors en son juste sens toute une situation historique et sociale ; il en montre les impasses et relativise, du même coup, ses obsessions sordides en une cinglante dérision.

Ce que nous fait découvrir Audrey Kiéfer, c’est bien un Foucault voyant, pour reprendre encore à ce propos une expression de Gilles Deleuze qui, dans cette lutte contre l’intolérable a été son accompagnateur et ami.

Mais je me garde d’anticiper ni de présenter quelque résumé préalable, même succinct, laissant le lecteur au plaisir d’une découverte qui lui fournira aussi des repères pour savoir se reconnaître dans une période peu étudiée, parce que trop proche, peut-être, de notre histoire, et pour apprendre également à déjouer les embûches de notre – l’expression est foucaldienne – « révoltante actualité ».

René Schérer

20 septembre 2007

SÉMINAIRE

MICHEL FOUCAULT ET LES PRISONS

Mardi 15 décembre 2009

17h30 – 19h30

( relecture de ma thèse)

Discutant : M. Alain Cugno, professeur agrégé de philosophie, docteur d’Etat.

TEXTE EN LIGNE !

1° Michel Foucault et le Groupe d’Information sur les Prisons

1) Le Groupe d’Information sur les Prisons

a) Qu’est-ce que le GIP ?

– un collectif anonyme, pluriel, polymorphe et hétéroclite

– un lieu de réunion

–> un nouveau type de mobilisation : une mobilisation horizontale faisant fonctionner la transversalité des savoirs

b) Quels sont les objectifs du GIP ?

– dire l’intolérable du quotidien

– dire l’intolérable au-delà du pénitentiaire

–> un principe d’information instruit d’un travail critique

c) Quelles sont les modalités d’action du GIP ?

– les enquêtes-intolérances : un savoir collectif et un nouveau discours sur la prison

–> un principe de diffusion qui met en lumière un travail de rupture

2) Les mutineries de l’hiver 1970-1971

a) Toul, 5-13 décembre 1970

b) Nancy, janvier 1971

c) Melun, janvier 1971

–> face à cette nouvelle situation, le GIP doit agir différemment

3) La modification du travail du GIP

a) Relayer les revendications des prisonniers durant les mutineries

b) Collaboration avec les avocats (proçès des 6 mutins de Nancy)

c) Les suicides DE prison

–> auto-dissolution du GIP au profit du Comité d’Action des Prisonniers (C.A.P.) fondé par Serge Livrozet, ancien détenu de la Centrale de Melun (les archives de ce comité se trouvent à la BDIC de Nanterre)

2° Une nouvelle manière de vivre et de penser le rapport entre la théorie et la pratique

Si Surveiller et punir n’est pas une exploration du quotidien de la détention des années 70, à sa lecture on ne peut oublier l’actualité de sa publication.

1) un nouveau rapport théorie/pratique

– une nouvelle manière de vivre ce rapport, des moyens de lutte spécifiques : « l’indignité de parler pour les autres »

– une nouvelle manière de penser ce rapport : les micro-pouvoirs, les ripostes locales

2) l’intellectuel spécifique

– une nouvelle figure en rupture avec l’écrivain, le porte-parole et l’intellectuel universel (figure incarnée par J.P. Sartre)

3) Quelles interférences entre le GIP et Surveiller et punir

– la fabrication de la délinquance et sa spécification

– la méfiance des ouvriers à l’égard des prisonniers

– la critique du réformisme

–> articuler les investigations philosophique et politique de Michel Foucault autour d’une même attitude, celle de « l’indocilité réfléchie » qui consiste à ne pas accepter ce qui va de soi…

—> Relecture de ma thèse dans le cadre du Séminaire « Enfermements, Justice et Libertés dans les sociétés contemporaines » organisé par Pierre Victor Tournier – Université Paris 1. Centre d’histoire sociale du 20ème siècle : texte en ligne /version plus courte

—> lieu : CHS 20ème siècle, 9 rue Malher, Paris 4ème, métro Saint-Paul (6ème étage)

Michel Foucault et le Groupe d’Information sur les Prisons

  1. Le Groupe d’Information sur les Prisons

    a) Qu’est-ce que le GIP ?

    – un collectif anonyme, pluriel, polymorphe et hétéroclite

    – un lieu de réunion

–> un nouveau type de mobilisation : une mobilisation horizontale faisant fonctionner la transversalité des savoirs

    b) Quels sont les objectifs du GIP ?

    – dire l’intolérable du quotidien

    – dire l’intolérable au-delà du pénitentiaire

–> un principe d’information instruit d’un travail critique

    c) Quelles sont les modalités d’action du GIP ?

    – les enquêtes-intolérances : un savoir collectif et un nouveau discours sur la prison

–> un principe de diffusion qui met en lumière un travail de rupture

  1. Les mutineries de l’hiver 1970-1971

    a) Toul, 5-13 décembre 1970

    b) Nancy, janvier 1971

    c) Melun, janvier 1971

–> face à cette nouvelle situation, le GIP doit agir différemment

  1. La modification du travail du GIP

    a) Relayer les revendications des prisonniers durant les mutineries

    b) Collaboration avec les avocats (proçès des 6 mutins de Nancy)

    c) Les suicides DE prison

–> auto-dissolution du GIP au profit du Comité d’Action des Prisonniers (C.A.P.) fondé par Serge Livrozet, ancien détenu de la Centrale de Melun (les archives de ce comité se trouvent à la BDIC de Nanterre)

PUBLICATION

« LES PRISONNIERS PAR EUX-MÊMES

RECHERCHES SUR LES ANNÉES 1970″ :

UN ARTICLE D’ANNE GUÉRIN

Voici un texte d’Anne Guérin, sociologue, actuellement en train de finaliser une recherche sur les prisonniers dans les années 70. En voici un aperçu pertinent.

Dans les deux gros volumes consacrés aux prisons, en 2000, par nos députés et sénateurs nous n’avons pas trouvé – sauf erreur – de témoignages émanant des détenus. Or, ils sont les premiers concernés. Prisonniers d’une part, parlementaires de l’autre, ne sont pas du même monde. Et cette différence n’est pas sans effet sur les perceptions des uns et des autres. Aujourd’hui encore les chercheurs comme la regrettée A.-M. Marchetti, comme L. Le Caisne qui a passé deux années entières à écouter les détenus de Poissy, ne se bousculent pas aux portillons de nos prisons.

Pendant les années 70, les recherches sur les prisons étaient rares, et inexistantes celles qui se consacraient aux prisonniers en tant que sujets de leur histoire, et non objets. Entre 1971 et 1974 notamment, c’était la guerre entre les prisonniers d’une part et les autorités de l’autre. Celles-ci conservaient – de plus en plus difficilement, il est vrai – le monopole sur l’information ayant trait aux prisons. Des nombreuses révoltes qui éclatèrent alors, la plupart des journalistes et partant, l’opinion, étaient informées par les seuls communiqués du ministère de l’intérieur.

Les écrits des années 1970 sont à tel point imprégnés de cet antagonisme que pour « l’observateur extérieur à la prison […], la position de neutralité est, quand bien même on voudrait s’y tenir, intenable ». Nous ne tenterons pas l’impossible.

Notre façon de lire l’histoire des prisons peut être très différente selon que nous écoutons les prisonniers ou leurs geôliers. Pour ces derniers, les détenus sont des simulateurs, manipulateurs et menteurs : cette rengaine réitérée, à l’époque comme aujourd’hui, dans maint discours officiel, sert de parade et d’explication à tout. Quant à ceux qui, de l’extérieur, se prononcent sur nos prisons, ou ce qu’ils en imaginent, ils commettent parfois de grossières erreurs, comme le Parisien Libéré qui ironisait, en 1974, sur « les prisons quatre étoiles ». Comme le magistrat Jean Favard écrivant que « 1970 a vu disparaître le système des galons » de bonne conduite. Alors qu’on sait, par les prisonniers de Toul (1971) puis de Nîmes (1972) et bien après, de Clairvaux, que lesdits établissements usaient très largement de cette récompense : sport, cinéma et autres activités étaient réservés, à Toul, aux « bons » détenus gratifiés de ces galons. Mais ce n’est là qu’un détail.

Sur l’état d’esprit des détenus de 1971-72, on ne saurait à peu près rien s’il n’y avait le Groupe d’information sur les prisons (GIP), fondé par Michel Foucault et Daniel Defert, qui sollicita leur parole, publia leurs textes et leur donna un certain retentissement. Après les maos, le GIP a tenté de briser « l’effroyable silence » qui régnait dans et sur les prisons. Avant le GIP, « on s’était occupé de la prison, résume Foucault, mais comme du sous-sol du système pénal, la chambre de débarras. » Le point de départ du GIP, qui est aussi le nôtre, « était l’idée d’interroger le système pénal à partir de sa chambre de débarras ».

Le GIP n’a vécu que dix-huit mois. Mais le CAP (Comité d’action des prisonniers) a pris le relais en publiant un mensuel de novembre 1972 à 1979. Sous la houlette de Serge Livrozet, ce Journal des prisonniers tirait, en 1974, jusqu’à 50 000 exemplaires. C’est une mine d’informations issue des prisons, rédigées par des détenus et anciens détenus. Autres mines : les livres entiers qu’ont écrit Livrozet, Roland Agret, Charlie Bauer, Roger Knobelspiess, Jacques Lesage de la Haye … sur leur longues années de prison.

Si nous avons orienté nos recherches vers les années 70, c’est parce que cette décennie regorge de tels témoignages. Jamais la détention n’a été aussi bavarde.

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PUBLICATION (THÈSE)

MICHEL FOUCAULT : LE GIP, L’HISTOIRE ET L’ACTION

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RÉSUMÉ :

Le premier texte de Michel Foucault sur la prison est un texte militant : il s’agit du Manifeste annonçant, le 8 février 1971, la création d’un Groupe d’Information sur les Prisons. L’objectif de ce collectif est de donner la parole aux prisonniers de droit commun. En 1975, Foucault publie Surveiller et punir. Naissance de la prison. L’objectif de ce livre est de construire une « généalogie de l’actuel complexe scientifico-judiciaire ». À sa lecture, nous sommes surpris de voir une telle prégnance de l’actualité : il est impossible d’oublier l’expérience du GIP. Quelles relations peut-on établir entre ces deux investigations ? Quels liens cette histoire de la prison et l’actualité des problèmes liés au système carcéral entretiennent-elles ?

Dans cette thèse, nous montrons que ce diagnostic porté sur les prisons et leur histoire relève d’une résistance « par logique ». Il exprime également un acte de courage qui, face au pouvoir de normalisation et d’individualisation « descendante », devient un art de l’ « inservitude volontaire ». Autrement dit : les actions de Foucault au sein du GIP, comme ses recherches historico-philosophiques sur la pénalité, participent de cet êthos selon lequel « contredire est un devoir ».

SOMMAIRE :

MICHEL FOUCAULT : LE GIP, L’HISTOIRE ET L’ACTION

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PRÉFACE (© Tous droits réservés) de René Schérer : « combat contre l’intolérable »

INTRODUCTION

CHAPITRE 1 : État des lieux des années 50-60.
1° La réforme Amor
2° Débats
3° Mutineries

CHAPITRE 2 : Le Groupe d’Information sur les Prisons.
1° Le GIP, Groupe d’Information sur les Prisons
2° Les mutineries de l’hiver 1971-1972
3° Le GIP, de fait, modifie son action

CHAPITRE 3 : Surveiller et punir.
1° Une pratique historico-philosophique
2°Polémiques
3° Une généalogie du pouvoir disciplinaire

CHAPITRE 4 : L’histoire et l’action.
1° Un nouveau rapport entre la théorie et la pratique
2° Le présent et l’actualité
3° « Contredire est un devoir »

CONCLUSION

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
INDEX
TABLE DES MATIÈRES

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En espérant que cette thèse, faite avec rigueur et conviction, serve à d’autres ;

En espérant qu’elle puisse intéresser des étudiants, des chercheurs, des praticiens ou tout autre public ;

En espérant simplement aussi faire connaître ce sujet passionnant…

Aussi, je voudrais ici remercier René Schérer, ce chercheur et militant sans compromis, pour sa magnifique  et généreuse préface. Avec toute mon admiration et toute ma  reconnaissance, encore merci.

Enfin, je voudrais à ce propos vous conseiller la lecture de ses ouvrages et particulièrement ceux, bien sûr, dont la réflexion porte sur l’hospitalité ; l’HOSPITALITÉ dont l’éloge est aujourd’hui nécessaire .

Je vous invite donc en premier lieu à lire Hospitalités aux éditions Anthropos, publié en 2004. Ce livre rassemble plusieurs textes consacrés à ce thème par René Schérer depuis 1993, depuis la parution de Zeus hospitalier.

9782717847932fs

L’hospitalité consiste essentiellement dans le rapport à l’autre qu’elle introduit. Recevoir, accueillir, reconnaître en l’autre son semblable et, de plus, apprécier sa présence, son contact, comme un apport et un enrichissement, non  comme une gêne fait passer du plan d’une conception qui valorise « le même », l’identité au détriment de tout ce qui est étranger, au plan d’une philosophie qui attache une plus grande valeur à l’autre, au respect des différences. Il y a, aujourd’hui, très souvent combat entre ces deux attitudes d’esprit, et il est clair qu’un problème social, un « cas » ne sera pas abordé de même manière si l’on adopte pour traiter l’une ou l’autre attitude : celle qui tend à limiter l’accès à l’étranger, y voyant un intrus, un parasite, et celle qui voit en sa présence une source d’enrichissement collectif.

solidarite-hospitalite

Nous reviendrons sur les travaux riches et inventifs de ce philosophe dans un prochain billet.

—> Différents papiers de ce blog sont tirés de cette thèse : une histoire du Groupe d’information sur les Prisons, Comment lire Surveiller et punir ?, Le fabrication de l’individu.

—> Et il y aura sans doute dans le futur d’autres extraits, d’autres articles tirés de ma thèse… l’article étant plus approprié à la forme « blogistique ».


PUBLICATION

LE GROUPE D’INFORMATION SUR LES PRISONS, UN NOUVEL AGIR POLITIQUE (4)

Après un troisième volet sur les objectifs du GIP, voici le quatrième et dernier billet concernant la présentation de ce groupe d’INFORMATION :

(4)

QUELLES SONT LES MODALITÉS D’ACTION DU GROUPE D’INFORMATION SUR LES PRISONS ?

Pour atteindre son objectif, le GIP doit transmettre au plus grand nombre le travail critique qu’il entreprend pour dire l’intolérable. Le GIP double donc son principe premier d’information d’un principe de diffusion.

Le GIP utilise de nombreux moyens traditionnels : les tracts, les réunions, les meetings, les communications internes mais aussi et surtout, les « enquêtes intolérance ».

La modalité de l’enquête n’est pas en soi une investigation novatrice.

À partir de 1819, avec la création de la Société Royale pour l’amélioration des Prisons, les enquêtes se généralisent. Grâce à elles, paraissent les premières statistiques. Les enquêtes-intolérances menées par le GIP sont d’un tout autre ordre. Elles s’inscrivent dans un projet d’investigation et d’information qui ne visent pas à établir des statistiques, des courbes ou des tableaux. Elles ne sont pas non plus, précise Foucault, des enquêtes de sociologues : elles ne proviennent pas de spécialistes extérieurs. Elles sont réalisées par les personnes concernées par le sujet même de l’enquête.

En réalité, elles sont inspirées de celles faites sur la condition ouvrière par les ouvriers eux-mêmes au début du XIXème siècle (un des fondements de la pratique politique et syndicale du prolétariat au XIXème / une grande part de la documentation de Marx). Les enquêtes du GIP vont également suivre de près celles produites par les maoïstes de l’après 68 en France au sein des usines. Les maos s’inspirant eux-mêmes du travail accompli par les ouvriers au XIXème. Le premier questionnaire du GIP est d’ailleurs rédigé, avec l’aide d’anciens détenus, par des militants maoïstes qui pratiquaient déjà l’enquête à l’entrée des usines.

Si la modalité de l’enquête par les concernés n’est donc pas nouvelle, de telles investigations n’ont pas encore été entreprises au sein des prisons.

Et ce qui fait l’originalité du travail du GIP est la mobilisation des familles de détenus, extérieures à la prison et directement concernées par elle. Les questionnaires sont en effet diffusés clandestinement par les familles lors des visites afin que les détenus les remplissent ou leur transmettent par oral l’information. Les familles de détenus constituent en ce sens une force considérable.

L’introduction de la première publication du GIP précise les caractéristiques de l’enquête-intolérance, elles sont au nombre de 4 :

  • chacune doit être un acte politique
  • chacune doit être le premier épisode d’une lutte
  • chacune doit, en un point stratégiquement important, constituer un front, et un front d’attaque
  • chacune doit être, pour les prisonniers, le support pour « prendre en charge la lutte qui empêchera l’oppression de s’exercer »

Introduction à la première brochure, Intolérable 1 : enquête dans 20 prisons.
(texte attribué à Foucault, Dits et écrits, texte n°91)

Nous pouvons voir dans ces quatre caractéristiques deux orientations fondamentales du travail du GIP : d’une part, la volonté de constituer un savoir collectif et, d’autre part, celle de faire émerger un nouveau discours sur la prison.

Premièrement donc : Si le GIP est un groupe qui cherche et diffuse des informations, il est avant tout un groupe qui les relaie. Qui connait mieux la prison que les prisonniers eux-mêmes ? Le GIP montre qu’une théorie de la prison élaborée par les prisonniers eux-mêmes est possible. Il faut simplement le support pour l’exprimer et c’est le rôle que le GIP souhaite remplir. Le groupe ne veut être qu’un instrument de diffusion et en aucun cas, un porte parole au nom des prisonniers. Les enquêteurs ici sont les enquêtés eux-mêmes. Les publications du GIP, comme support, doivent permettre de rassembler et d’organiser des indignations et des revendications individuelles jusqu’ici informulées. Elles doivent permettre de donner aux détenus des différentes prisons le moyen de prendre la parole au même moment. Il s’agit donc de rassembler des expériences individuelles pour les transformer en une force politique, en un savoir collectif, un savoir politique.

Deuxièmement : Le GIP va ainsi permettre un nouveau discours sur la prison. En effet, la manière dont le GIP transmet l’information, en donnant la parole aux détenus, dérange la distribution bien réglée dans l’ordre des discours : c’est une lutte incontestable contre le pouvoir. Le discours du GIP n’est pas celui de la criminologie, ni celui de la science pénitentiaire. C’est la parole des intéressés, non un discours normalisé par les instances du pouvoir. C’est le discours du quotidien, sans interprétation et sans trop de commentaires. Le GIP combat ainsi l’idée selon laquelle le discours sur la prison doit nécessairement être produit par des « spécialistes ». Le GIP veut donc supprimer l’intermédiaire imposé par la hiérarchie du langage institutionnalisé. Il s’engage alors dans un travail de rupture : rupture dans l’ordre du pouvoir et rupture dans l’ordre du savoir (au principe de diffusion s’ajoute donc un travail de rupture).
Pour exemple, il est volontiers admis qu’un prisonniers se raconte, décrive son expérience de la détention. En revanche, il est difficilement accepté qu’un détenu puisse penser la loi, le droit et le pouvoir.
Cette procédure de l’écriture réglée par les mécanismes du pouvoir permet de spécifier chaque discours, de plonger l’opinion dans l’ignorance de la réalité carcérale et d’imposer ainsi un schéma de pensée. Le GIP refuse de servir ainsi le pouvoir. Au delà du simple témoignage, les prisonniers donnent leur « théorie » de la prison et non pas, comme les autorités le font, une théorie sur la délinquance.

L’enquête intolérance est donc d’une importance considérable. Elle est un acte de résistance et, avec elle, la prison apparaît comme un enjeu politique car surgit dans le champ discursif une parole jusqu’ici rejetée.

—> La pratique du GIP s’établit donc sur deux fondements : un principe d’information nourri d’un travail critique et un principe de diffusion qui met en lumière un travail de rupture.

Le GIP est un groupe où les témoignages et les réflexions s’instruisent mutuellement pour constituer un savoir nouveau : celui des intéressés. La parole des prisonniers est exigence et condition même d’existence du GIP.

Malgré les actions du GIP, les prisonniers ne semblent pas écoutés et d’importantes mutineries vont avoir lieu dans les prisons françaises. Nous en parlerons dans un prochain billet…

Supplément à La Cause du peuple-J’accuse du 19 janvier 1972.

—> Les archives du GIP se trouvent à l’Abbaye des Ardennes et une grande partie dans le formidable livre de Philippe Artières, Laurent Quéro et Michelle Zancarini-Fournel :