PUBLICATION

LE GROUPE D’INFORMATION SUR LES PRISONS, UN NOUVEL AGIR POLITIQUE (4)

Après un troisième volet sur les objectifs du GIP, voici le quatrième et dernier billet concernant la présentation de ce groupe d’INFORMATION :

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QUELLES SONT LES MODALITÉS D’ACTION DU GROUPE D’INFORMATION SUR LES PRISONS ?

Pour atteindre son objectif, le GIP doit transmettre au plus grand nombre le travail critique qu’il entreprend pour dire l’intolérable. Le GIP double donc son principe premier d’information d’un principe de diffusion.

Le GIP utilise de nombreux moyens traditionnels : les tracts, les réunions, les meetings, les communications internes mais aussi et surtout, les « enquêtes intolérance ».

La modalité de l’enquête n’est pas en soi une investigation novatrice.

À partir de 1819, avec la création de la Société Royale pour l’amélioration des Prisons, les enquêtes se généralisent. Grâce à elles, paraissent les premières statistiques. Les enquêtes-intolérances menées par le GIP sont d’un tout autre ordre. Elles s’inscrivent dans un projet d’investigation et d’information qui ne visent pas à établir des statistiques, des courbes ou des tableaux. Elles ne sont pas non plus, précise Foucault, des enquêtes de sociologues : elles ne proviennent pas de spécialistes extérieurs. Elles sont réalisées par les personnes concernées par le sujet même de l’enquête.

En réalité, elles sont inspirées de celles faites sur la condition ouvrière par les ouvriers eux-mêmes au début du XIXème siècle (un des fondements de la pratique politique et syndicale du prolétariat au XIXème / une grande part de la documentation de Marx). Les enquêtes du GIP vont également suivre de près celles produites par les maoïstes de l’après 68 en France au sein des usines. Les maos s’inspirant eux-mêmes du travail accompli par les ouvriers au XIXème. Le premier questionnaire du GIP est d’ailleurs rédigé, avec l’aide d’anciens détenus, par des militants maoïstes qui pratiquaient déjà l’enquête à l’entrée des usines.

Si la modalité de l’enquête par les concernés n’est donc pas nouvelle, de telles investigations n’ont pas encore été entreprises au sein des prisons.

Et ce qui fait l’originalité du travail du GIP est la mobilisation des familles de détenus, extérieures à la prison et directement concernées par elle. Les questionnaires sont en effet diffusés clandestinement par les familles lors des visites afin que les détenus les remplissent ou leur transmettent par oral l’information. Les familles de détenus constituent en ce sens une force considérable.

L’introduction de la première publication du GIP précise les caractéristiques de l’enquête-intolérance, elles sont au nombre de 4 :

  • chacune doit être un acte politique
  • chacune doit être le premier épisode d’une lutte
  • chacune doit, en un point stratégiquement important, constituer un front, et un front d’attaque
  • chacune doit être, pour les prisonniers, le support pour « prendre en charge la lutte qui empêchera l’oppression de s’exercer »

Introduction à la première brochure, Intolérable 1 : enquête dans 20 prisons.
(texte attribué à Foucault, Dits et écrits, texte n°91)

Nous pouvons voir dans ces quatre caractéristiques deux orientations fondamentales du travail du GIP : d’une part, la volonté de constituer un savoir collectif et, d’autre part, celle de faire émerger un nouveau discours sur la prison.

Premièrement donc : Si le GIP est un groupe qui cherche et diffuse des informations, il est avant tout un groupe qui les relaie. Qui connait mieux la prison que les prisonniers eux-mêmes ? Le GIP montre qu’une théorie de la prison élaborée par les prisonniers eux-mêmes est possible. Il faut simplement le support pour l’exprimer et c’est le rôle que le GIP souhaite remplir. Le groupe ne veut être qu’un instrument de diffusion et en aucun cas, un porte parole au nom des prisonniers. Les enquêteurs ici sont les enquêtés eux-mêmes. Les publications du GIP, comme support, doivent permettre de rassembler et d’organiser des indignations et des revendications individuelles jusqu’ici informulées. Elles doivent permettre de donner aux détenus des différentes prisons le moyen de prendre la parole au même moment. Il s’agit donc de rassembler des expériences individuelles pour les transformer en une force politique, en un savoir collectif, un savoir politique.

Deuxièmement : Le GIP va ainsi permettre un nouveau discours sur la prison. En effet, la manière dont le GIP transmet l’information, en donnant la parole aux détenus, dérange la distribution bien réglée dans l’ordre des discours : c’est une lutte incontestable contre le pouvoir. Le discours du GIP n’est pas celui de la criminologie, ni celui de la science pénitentiaire. C’est la parole des intéressés, non un discours normalisé par les instances du pouvoir. C’est le discours du quotidien, sans interprétation et sans trop de commentaires. Le GIP combat ainsi l’idée selon laquelle le discours sur la prison doit nécessairement être produit par des « spécialistes ». Le GIP veut donc supprimer l’intermédiaire imposé par la hiérarchie du langage institutionnalisé. Il s’engage alors dans un travail de rupture : rupture dans l’ordre du pouvoir et rupture dans l’ordre du savoir (au principe de diffusion s’ajoute donc un travail de rupture).
Pour exemple, il est volontiers admis qu’un prisonniers se raconte, décrive son expérience de la détention. En revanche, il est difficilement accepté qu’un détenu puisse penser la loi, le droit et le pouvoir.
Cette procédure de l’écriture réglée par les mécanismes du pouvoir permet de spécifier chaque discours, de plonger l’opinion dans l’ignorance de la réalité carcérale et d’imposer ainsi un schéma de pensée. Le GIP refuse de servir ainsi le pouvoir. Au delà du simple témoignage, les prisonniers donnent leur « théorie » de la prison et non pas, comme les autorités le font, une théorie sur la délinquance.

L’enquête intolérance est donc d’une importance considérable. Elle est un acte de résistance et, avec elle, la prison apparaît comme un enjeu politique car surgit dans le champ discursif une parole jusqu’ici rejetée.

—> La pratique du GIP s’établit donc sur deux fondements : un principe d’information nourri d’un travail critique et un principe de diffusion qui met en lumière un travail de rupture.

Le GIP est un groupe où les témoignages et les réflexions s’instruisent mutuellement pour constituer un savoir nouveau : celui des intéressés. La parole des prisonniers est exigence et condition même d’existence du GIP.

Malgré les actions du GIP, les prisonniers ne semblent pas écoutés et d’importantes mutineries vont avoir lieu dans les prisons françaises. Nous en parlerons dans un prochain billet…

Supplément à La Cause du peuple-J’accuse du 19 janvier 1972.

—> Les archives du GIP se trouvent à l’Abbaye des Ardennes et une grande partie dans le formidable livre de Philippe Artières, Laurent Quéro et Michelle Zancarini-Fournel :